Mercredi 14 novembre s’est tenue à Est Ensemble une réunion d’information sur le projet d’aménagement d’une base de loisirs sur le site de la Corniche des Forts à Romainville. Cette réunion était réservée aux élus du territoire, qui furent malheureusement très peu nombreux à répondre à l’invitation du Président Gérard Cosme. Nous étions 14 sur les 80 élus que compte le conseil de territoire.
Si cette réunion d’information était bienvenue, elle arrive bien tard puisque plusieurs centaines d’arbres ont d’ores et déjà été abattus (pas moins de 655 nous a-t-on appris!) et nous avons le sentiment d’être mis devant le fait accompli. Le Plan d’Aménagement et de Développement Durable qui est en cours de discussion dans les conseils municipaux des 9 villes d’Est Ensemble comprend d’ailleurs la volonté que le projet d’ « île de loisirs » de la Corniche des Forts soit réalisé « dans sa globalité » (p. 33). Or la plupart des élus ne connaissent pas le détail de ce projet.
Cette réunion se voulait être une réunion d’information et toute possibilité de débat contradictoire avait été écartée. C’est un choix regrettable car le débat contradictoire, quand il est bien mené, peut-être tout à fait informatif. Voir la Maire de Romainville Corinne Valls dissoudre un morceau de craie dans un verre d’eau pour nous convaincre de la dangerosité des carrières de gypse n’avait rien d’informatif, c’était juste infantilisant. Nous n’étions que deux élus présents (Riva Gherchanoc et moi-même) pour soulever des objections au projet après 1h30 de présentation par Corinne Valls, Patrick Karam (le VP à la Région en charge des Sports et donc, curieusement, de ce projet), Stéphane Weisselberg (élu EELV de Romainville et Est Ensemble, devenu la caution verte du projet en tant que Président du Syndicat de la Corniche des Forts depuis janvier 2018 ), Bruno Marielle (élu PS de Montreuil et conseiller délégué au Parc des Hauteurs à Est Ensemble). Et pas moins de 5 membres des services de la Région, diapos à l’appui. Il faudrait aussi ajouter les interventions de Jacques Champion et de Martine Legrand, deux anciens présidents du Syndicat. Il est regrettable que Mireille Alphonse, en tant que Vice-présidente en charge de l’écologie à Est Ensemble, et opposante au projet, n’ait pas été présente pour expliquer ses objections.
Ne nous y trompons pas, c’est la forte mobilisation citoyenne (une pétition signée par pas moins de 23 000 personnes dont de très grands écologues et paysagistes) et les protestations de pas moins de 40 élus locaux qui ont contribué à ce que cette réunion se tienne. La pétition ici. L’opacité qui entoure le projet explique en partie cette mobilisation. Il est anormal qu’un projet de cette envergure se fasse sans associer largement la population, les élus et les associations de défense de l’environnement. De même, il est anormal qu’Est Ensemble, qui finance pourtant le Syndicat de la Corniche, ne soit pas représenté en tant que tel au Conseil syndical, mais la ville de Romainville s’y est toujours opposée. Une consultation publique sur le dernier projet a été organisée du 4 au 29 juillet 2016, donc au cœur de l’été, par voie électronique uniquement, sans aucune publicité. Les associations de défense de l’environnement n’ont pas été informées du dépôt d’une demande d’autorisation de destruction des espèces protégées auprès de la DRIEE et n’ont obtenu d’informations qu’après un recours auprès de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs!
On pourrait résumer ainsi les arguments des défenseurs du projet avancés pendant la réunion :
- les carrières de gypse sont très dangereuses, elles peuvent s’effondrer à n’importe quel moment. Et donc ne rien faire c’est courir le risque que la forêt et toute la biodiversité que prétendent défendre les opposants au projet disparaisse dans un grand trou de 40m de profondeur. Sur les 3,6ha qui ont été défrichés (=déforestés) certains arbres ont été conservés. (C. Valls)
- Le projet aurait été approuvé par l’ancienne majorité du Conseil régional sous Jean-Paul Huchon. Donc les opposants actuels ne s’opposent que pour des raisons électoralistes, alors que le projet actuel est encore plus écolo que celui de 2015 : 12ha comblés à l’époque contre seulement 8ha aujourd’hui, et 20ha sanctuarisés. Patrick Karam est allé jusqu’à affirmer en réunion « Serne et Coquerel voulaient détruire toute la forêt » !
- Les associations auraient été consultées et auraient approuvé le projet. Elles ont même été consultées avant le Syndicat, ce qui avait fait hurler la maire de Romainville. Patrick Karam tient les PV de ces réunions à notre disposition.
- 655 arbres ont été abattus mais 123 grands arbres vont être replantés ainsi que 3000 jeunes plants, 21 000 plantes vivaces. La partie de 8 ha qui fait l’objet d’un aménagement est la plus pauvre écologiquement, avec moins de flore et de faune, peu d’humus, des espèces invasives comme la renouée du Japon. Le projet va permettre de retravailler les sols et d’amener de la biodiversité. Le comblement des carrières se fera à 30m sous terre avec un mélange de sablon et de ciment. La géogrille pour combler les fontes sera recouverte d’un mélange terreux fertile qui ne sera pas imperméable. (Services techniques)
- Ouvrir aux populations c’est faire de l’écologie sociale. Les populations de la cité Gagarine n’ont pas la possibilité d’observer la biodiversité. La Sapinière est saturée. Il y a besoin d’espaces verts en plus. (S Weisselberg)
- Les manifestants terrorisent les ouvriers. Ils ont dispersé 70 sacs de ciment. Ils enlèvent les protections des arbres à conserver. Ce n’est pas écolo. (J. Champion)
Nos réponses et objections
Comment ne pas comprendre que l’accentuation des symptômes du dérèglement climatique avec toutes ses conséquences environnementales et sociales ces derniers temps change la donne par rapport à la destruction de 8ha d’une forêt unique en zone urbaine dense? La situation a changé par rapport à 2000 (la destruction totale de la forêt était alors prévue) et 2015, donc le projet doit continuer d’évoluer, sans faire de mauvaise procès à ceux qui ont peut-être changé d’avis compte-tenu de ce nouveau contexte.
Notons aussi qu’il est faux d’affirmer que les écologistes auraient approuvé en 2014 au Conseil Régional un projet beaucoup moins écologique que le projet actuel que la plupart d’entre eux refusent aujourd’hui. Cela pour la bonne raison qu’aucun projet finalisé n’a été soumis en séance. Seuls des engagements budgétaires au coup par coup pour des travaux ponctuels ont été votés en séance entre 2004 et 2014 (démolition du château de Romainville, création des jardins familiaux, cheminement est-ouest etc.). Les services techniques de la Région planchaient alors sur la première phase d’aménagement sans qu’aucun projet global ne soit définitivement retenu. Et sur cette première phase de travaux, les élus écologistes Nadia Azoug et Gerald Calzettoni sont beaucoup intervenus pour réduire de moitié la zone déboisée et contester la méthode de comblement (cf ici )
On nous dit que les carrières de gypse sont extrêmement dangereuses et que le comblement est indispensable pour permettre non seulement l’accès du public, mais pour maintenir un espace naturel au-dessus. Pourtant il existe à Rosny sur le plateau d’Avron un parc naturel avec une forêt qui a poussé spontanément sur d’anciennes carrières de gypse. Il a une biodiversité remarquable et est classé Natura 2000. Il va faire l’objet d’aménagements légers pour un montant de 5M€ (cf ici). Et les carrières n’ont pas été comblées avec du béton. Pourquoi est-ce que ce qui est possible à Rosny ne le serait pas aussi à Romainville?
Et quand bien même le comblement serait nécessaire, deux types de comblements par injection sont possibles pour ce type de hautes galeries de gypse, comme l’indiquent de nombreuses études réalisées par l’Inspection Générale des carrières et par l’Ineris que possède la Région. Une méthode simple, écologique, peu coûteuse, permettant la circulation des eaux et le développement du système racinaire : l’injection par « remblaiement gravitaire » qui consiste à déverser tout type de gravats sains, sables, graviers par le haut de la galerie. C’est ce type de comblement que les élus écologistes ont cherché à faire prévaloir à la Région en 2011. Or c’est la seconde méthode, imperméabilisante et la plus coûteuse, celle qui a été retenue aujourd’hui: l’injection par « coulis de clavage », en gros du béton sous pression, c’est-à-dire l’injection d’un mélange : ciment, eau et sable (ou bentonite : argile à grande rétention d’eau) dans les proportions moyennes suivantes pour une tonne de sable : 700kg de ciment, 1700 litres d’eau. Sachant qu’il est question de milliers de mètres cubes de comblements, ce sont plusieurs dizaines de tonnes rien qu’en « ciment pur », et le double de volume et de tonnage pour le « béton », qui doivent être injectés. A l’échelle du site, dans le second cas, les eaux pluviales qui viennent du plateau argileux imperméable de Romainville ne peuvent plus trouver de réservoir de rétention dans les galeries, comme actuellement, mais vont devoir trouver et creuser de nouveaux chemins en surface (glissements de terrain, inondation en pied de site). D’où dans le projet actuel, les coûts prévus par la réalisation d’ouvrages, type buses maçonnées, canalisant ces eaux qu’il faut récupérer. Dans le premier cas, les galeries restent perméables et jouent leur rôle d’éponge et assurent la bonne santé racinaire des arbres.
Rien ne garantit que les 20ha de forêt la plus sauvage seront effectivement sanctuarisés, Patrick Karam ayant affirmé que le classement n’est pas du ressort de la Région mais seulement de la ville de Romainville. Une affirmation étonnante, puisque la Région est propriétaire du site et mandataire du projet. Comment imaginer que la ville de Romainville seule puisse être décisionnaire alors que le projet impacte le territoire de plusieurs communes et tout l’échelon intercommunal? Or force est de constater que le projet Valls-Pécresse est non seulement tout entier dédié à Romainville au détriment des autres villes concernées, mais surtout que ce projet est exactement défini par la géographie des grands projets immobiliers de Romainville qui entourent le site, du haut (plateau de Romainville) au bas (Bas-Pays) de cette friche.
Il faut souligner que les travaux en cours ne sont que la phase 1 du projet Ilex de 2001 : l’enjeu est toujours de satisfaire le contrat d’engagement passé avec Ilex en 2001, lauréat de l’appel d’offres européen lancé pour ce projet. Or ce projet proposait 20 hectares d’interventions lourdes et d’ouvrages d’art. Le projet présenté est bien celui d’une « phase 1 » et il n’a été question de « sanctuarisation des 20 hectares » restants qu’après la mobilisation commencée avant l’été. Mais sur le plan réglementaire, aucune demande officielle de classement n’est donc entreprise.
C’est l’intérêt général qu’il faut faire prévaloir et si la Région est vraiment décidée à ce que les 20ha de forêt soient classés, elle doit l’obtenir! Et il faut faire comprendre aux élus de Romainville que ce classement est une nécessité absolue.
Pour nous, détruire une partie de la forêt pour faire de l’écopâturage et mettre des agrès, ce n’est pas de l’écologie sociale. Les habitants des cités ont besoin d’un air dépollué et d’un air rafraîchi, ce que permet naturellement une forêt. Planter de jeunes arbres et des arbustes pour remplacer des arbres de 40m de haut est un marché de dupes. Comme mesure compensatoire pour la perte de 8ha de forêt, il est également proposé de planter 14ha à la base de loisirs de Vaires en Seine-et-Marne, à plus de 20km de la Corniche! Cela est beaucoup trop loin pour les espèces qui vont perdre ici leur habitat, et pour les habitants qui perdent le bénéfice d’une forêt dense à leur porte.
Redisons-le : ici comme au sujet du projet EIF à Montreuil, nous refusons de nous laisser enfermer dans de fausses alternatives du type « c’est tout ou rien ». Les opposants au projet ne sont pas opposés à tout projet ni à tout accès du public. Ils demandent juste que l’accès se fasse ailleurs et autrement, et que les techniques choisies offrent plus de garanties de préservation de l’environnement.
Un autre projet est possible
Patrick Karam a refusé catégoriquement tout moratoire. Il a annoncé que les travaux étaient interrompus pour le moment, mais ils vont reprendre mi-décembre avec la pose d’une palissade anti-intrusion.
Il a rencontré une délégation d’élus opposés au projet, notamment les députés Sabine Rubin et Bastien Lachaup et le conseiller régional Pierre Serne. Il s’est engagé à leur fournir l’ensemble des documents techniques sous 24h. Alors que l’opacité caractérise le projet depuis des années, P. Karam estime aujourd’hui que « la société civile a le droit de savoir ». Mieux vaut tard que jamais!
Et il invite les opposants à leur fournir d’ici la fin de la première semaine de décembre un contre-projet avec une méthodologie qui prouve qu’on peut faire mieux que le projet actuel. Une première réunion de travail aura lieu dès la semaine prochaine avec S. Rubin.
Il n’est pas sérieux de demander dans des délais aussi courts un contre-projet fourni clé en main. En revanche les grands principes du projet alternatif existent déjà : c’est celui qui a été présenté à l’automne 2014 dans le 4 pages ci-dessous par les élus Nadia Azoug et Gerald Calzettoni avant qu’ils soient évincés du projet. Tout y est : la préservation complète de l’ormaie rudérale (la fameuse forêt) ; l’ensemble des aménagements réalisés sur les seules franges déjà impactées du site (comme les 4 hectares où sont entreposés les sablons, ou l’hectare de l’ancienne usine d’exploitation des carrières, sous laquelle se trouvent d’ailleurs les vestiges des occupations du XIXe et la rue pavée de l’époque), ceci en mettant en valeur les parcs existants (aux Lilas, à Pantin comme à Romainville)… Il avait été finalisé en s’appuyant en grande partie sur le rapport de 2012 du cabinet d’étude Octobre Environnement, le seul parmi les nombreux qui se sont succédé à avoir produit des recommandations tenant compte de l’intérêt écologique du site, de sa spécificité topographique, hydrographique et historique, qui doit se trouver dans les archives de la Région.
Projet défendu en 2014 par les écologistes
Un seul élément semble ne pas pouvoir être remis en question pour des raisons de sécurité, c’est le déboisement de la zone à fontis (zone « a ») d’environ 1 hectare (ce qu’on appelle dans le projet la Grande prairie après avoir gommé le nom de « Solarium »). Mais comme les élus écologistes de l’époque, nous demandons qu’une autre technique de comblement soit adoptée, à moins que les géotextiles suffisent à assurer la sécurité?
En matière d’accès au public, la forêt est déjà traversée par des sentiers. Il suffirait d’agir comme on le fait pour les sentiers de randonnée dans les espaces protégés et réserves naturelles en montagne, en campagne ou sur le littoral. Baliser ces chemins existant en indiquant par une signalétique et des barrières de bois basses les espaces protégés coûteraient peu. Des spécialistes (ornithologues, botanistes…) pourraient organiser des visites pédagogiques. Il faut aussi savoir que deux tiers du site vers le sud ne comportent quasi plus de risque liés aux carrières puisque l’exploitation au cours des décennies d’activité a descendu tout le gypse en avançant et en repoussant sans cesse le front de taille.
Sur la zone dite d’emprunt (où est entreposé le sable et où sera créé le poney club), on pourrait réaliser des mares naturelles en raison du sol imperméable de marnes argileuses. Cette zone humide complèterait la trame verte et bleue de Est Ensemble et présenterait un véritable intérêt en matière de préservation de la biodiversité.
Il est absurde de détruire 4 hectares de forêt pour installer des parcours sportifs et jeux pour enfants (y compris un poney-club) qui pourraient être installés sur les espaces naturels existant. Et une partie des 14 millions d’euros du comblement des carrières pourraient être utilisés pour réaménager le parc de la Sapinière et les espaces verts à proximité immédiate et pour faciliter l’accès des riverains à ces espaces.
On pourrait enfin revoir la philosophie du projet qui ne propose pas une véritable découverte du milieu naturel (on est censé l’observer de loin), qui ignore complètement la mémoire ouvrière du lieu et son patrimoine encore en place (maisons des carriers, tunnel d’entrée des anciens fours à plâtre, et fours à plâtre…). Sur ce patrimoine, on ne détruirait pas de forêt puis-qu’est encore en place l’ancienne usine des années 50 sous laquelle se trouvent les vestiges du XIXe. Et on pourrait réorienter tous ces millions investis en travaux, déboisements et aménagements lourds vers la vraie mise en valeur de ce patrimoine naturel et historique. Et penser aussi, dans ce but, que les autres villes puissent bénéficier d’investissement, notamment la Folie de Pantin qui est à rénover et à dédier à la pédagogie du lieu.
Rien ne permettra de remplacer les 600 arbres matures qui ont déjà été abattus et il est consternant de voir les hommes détruire en quelques jours ce que la nature a mis 40 ou 50 ans à créer. Mais si l’on peut réorienter une partie du projet, le jeu en vaut la chandelle.