Intervention de Gilles Robel sur le déploiement de la vidéosurveillance – Conseil Municipal du 11/12/2019
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Mr le Maire, chers collègues,

La délibération qui nous est présentée ce soir marque un tournant dans la politique de la municipalité en matière de tranquillité publique puisqu’elle vise à développer la vidéosurveillance sur une grande échelle à Montreuil. Le temps n’est plus aux euphémismes du type « video protection » ou « video verbalisation » : c’est bien de videosurveillance qu’il s’agit, supposée « lutter contre la délinquance et notamment les cambriolages. »

C’est un tournant parce que cette politique s’inscrit dans un dispositif développé par Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional d’IDF, auquel l’ensemble de la gauche, et notamment les élus communistes, se sont opposés, réfutant le concept même de videoprotection.

C’est un tournant enfin car il nous revient en mémoire les propos que tenait ici même fin 2013 l’un des membres éminents de notre assemblée, membre du Front de Gauche, Gaylord Le Chequer, au sujet de l’installation de 5 caméras rue du Capitaine Dreyfus à titre expérimental:

« Cette surenchère électoraliste de la part de D. Voynet est dangereuse et témoigne d’une grande fébrilité de la part de notre édile. Elle relève de l’agitation préelectorale plutôt que d’une vraie réponse aux préoccupations de nos concitoyens dont la tranquillité et le quotidien ne s’amélioreront pas avec 5 caméras posées en centre ville. »

Devons-nous céder nous aussi à l’agitation préeléectorale? Ce qui valait en 2013 ne vaudrait plus en 2019? Ce qui vaut au Conseil régional d’Ile de France ne vaudrait pas à Montreuil?

Redisons le, les caméras ne protègent pas!

Cette délibération reprend les arguments des sociétés de sécurité alors qu’ils ont été réfutés de façon scientifique par un très grand nombre de spécialistes. On y lit par exemple que la vidéoprotection permettrait aux services de Police de « faciliter les élucidations et interpellations ». Or les études montent que dans 80 % des cas les images prises sont inutilisables, pire dans les affaires de vol dans 97 % des cas elles n’apportent aucun élément permettant d’arrêter les coupables.

La délibération laisse croire que la vidéosurveillance permettrait de sécuriser les voies et les commerces de la commune. Lépreuve des faits contredit largement cet argument. Un article récent du Parisien révèle que la multiplication des caméras dans la ville de Levallois n’avait pas empêché la hausse de 60 % des cambriolages sur la période de 2014-2019 et une forte augmentation des vols à l’étalage, des vols de portefeuilles et téléphones portables. Au Royaume-Uni la vidéosurveillance est le programme de prévention de la délinquance qui a été le plus développé à partir de 1996. Il existe aujourd’hui 1 caméra pour 11 habitants environ (le ratio parisien est de 1 caméra pour 300 habitants). Les études incontestables menées par Sebastian Roché montrent que la vidéosurveillance ne diminue pas la délinquance et qu’elle ne parvient même pas à réduire le sentiment d’insécurité. Le responsable du programme de Scotland Yard, Mike Neville, reconnaissait lui-même, en mai 2008, que le développement de la vidéosurveillance était un « véritable fiasco».

Les conclusions d’une des études française les plus récentes menées par Laurent Mucchielli sont elles-aussi sans appel: «la vidéosurveillance nassure ni prévention ni dissuasion des actes de délinquance et na globalement aucun impact sur le niveau de la délinquance enregistrée. La vidéosurveillance se limite essentiellement au rôle d’outil municipal de gestion urbaine de proximité qui na que peu de rapport avec la politique locale de sécurité et de prévention. »

Ce que réussissent à faire les caméras, c’est avant tout déplacer les problèmes d’incivilité et de délinquance.

Des solutions réalistes et efficaces

La ville doit bien évidemment se saisir des problèmes de stationnement gênant, d’incivilité, de tranquillité publique voire de violence, mais l’enjeu est d’investir dans des moyens efficaces.

La vidéoverbalisation a été mise ne place à grands frais rue de Paris : nous aimerions avoir des informations sur le nombre de PV délivrés et ne constatons pas de véritable amélioration. Nous regrettons aussi le manque de surveillance des pistes cyclables, qui ruine nos efforts pour mettre en place des pistes dédiées aux circulations douces.

Bien souvent les caméras induisent le retrait de la présence humaine indispensable pour la sécurité au quotidien. Les sommes colossales nécessaires à leur installation et à leur fonctionnement mériteraient d’être investies dans des services publics de proximité et sur les questions de prévention. En période de pression financière toujours plus forte, il n’est pas responsable de procéder à un tel gaspillage d’argent public quand on pourrait utiliser cet argent pour créer par exemple une brigade de la sécurité et de la tranquillité publique, comme le proposent les écologistes à Paris.

Par ailleurs nous devons pointer du doigt les risques d’une utilisation discriminatoire des technologies de vidéosurveillance plusieurs fois identifiés par des enquêtes anglo-saxonnes. Cela pourrait aboutir à davantage de marginalisation voire d’exclusion des individus appartenant à des groupes « suspects », comme les jeunes, les sans-abri ou les vendeurs de rue.

Enfin l’éternelle question du juste équilibre entre sécurité et protection de la vie privée est ici posée quand encore une fois des études portant sur le Royaume-Uni ou des lycées en France révèlent que bien souvent le cadre légal est peu ou mal respecté.

Vous l’aurez compris, nous voterons contre cette délibération et espérons que nos camarades du Front de gauche conformément aux positions qu’ils ont défendues par le passé, qu’ils défendent à Grenoble ou dans lenceinte du Conseil régional d’ Île-de-France, suivront notre position.