Alors que l’abattage de centaines d’arbres a déjà commencé, le Président d’Est Ensemble Gérard Cosme, sensible à la grogne de certains élus et à la contestation citoyenne qui s’est exprimée dans une pétition ayant réuni plus de 23 000 signatures https://www.change.org/p/sauvons-la-for%C3%AAt-de-la-corniche-des-forts-%C3%A0-romainville, a accepté d’organiser une réunion-débat réservée aux élu-es du territoire le mercredi 14 novembre à 19h30. En amont de cette réunion à laquelle les élus de notre groupe ne manqueront pas de participer, nous republions ce bel article de Reporterre et du blog lilasécologie.fr qui comporte beaucoup d’arguments que nous mettrons en avant ce soir.
Depuis 50 ans, une forêt spontanée poussée sur d’anciennes carrières est devenue un lieu écologique remarquable à cheval sur quatre villes de Seine-Saint-Denis. Mais l’avenir de la forêt de la Corniche des forts est menacé par un projet de « base de loisirs » portée par la région Île-de-France. Les opposants s’organisent pour ralentir l’avancée des pelleteuses et ouvrir le dialogue avec la présidente de la région Île-de-France, porteuse du projet.
À l’ombre de la tour de Romainville (Seine-Saint-Denis), à deux kilomètres au nord-est de Paris, une forêt sauvage et poétique s’est constituée sur d’anciennes carrières de gypse. Sur 27 hectares, à l’abri des regards, la nature s’est reconstituée. Les clématites et les houblons qui s’accrochent aux sycomores et aux merisiers forment une jungle au relief escarpé. Ce refuge de la biodiversité ordinaire (insectes, papillons, chauve-souris, oiseaux, renards, etc.) qui abrite aussi quelques espèces remarquables (conocéphales gracieux, agripaumes cardiaques, éperviers) est sans équivalent dans une Seine-Saint-Denis qui ne cesse de se densifier et d’encercler toujours plus près, cette forêt en devenir.
Depuis vingt ans, la région Île-de-France projette de faire de ce bois la pièce centrale d’une « base de loisirs » entre les forts de Noisy-le-Sec et de Romainville. Dans les années 2000, la région envisageait une destruction totale de la forêt et prévoyait d’y accueillir plus d’un million de visiteurs par an. Au fil des années et des études, l’espace « à combler et à aménager » s’est réduit à 8 hectares, ce qui représente encore un tiers de la forêt. Les élus de tous bords ne semblent pas encore avoir pris la mesure de l’érosion de la biodiversité ni de l’urgence du réchauffement climatique. Ils semblent surtout impatients de pouvoir inaugurer une « plaine de loisirs » ou une « prairie » avant les prochaines élections et n’ont pas pris la peine de consulter les citoyens des villes. Et les promoteurs annoncent déjà un « parc » à l’emplacement de la forêt sur leurs plaquettes commerciales !
Les « aménagements » proposés et les « usages » ludiques sont d’une grande banalité, sans rapport avec la nature forestière du site.
Pour les Amis de la forêt de la Corniche des forts, qui s’opposent depuis des années à ces aménagements inutiles, il faut au contraire protéger et mettre en valeur le paysage et la biodiversité de ce bois méconnu et de ces carrières. Au lieu d’être dépensé pour combler les galeries et défricher plus d’un millier d’arbres, le budget de 14 millions serait plus utilement affecté à l’entretien des parcs de ce coteau et pour faciliter l’accès des riverains à ces espaces verts. Réduit dans son extension sans être repensé sur le fond, le projet paysager est obsolète et va à l’encontre de ce qui se fait ailleurs. Les galeries seraient comblées par l’injection de 100.000 tonnes de sable et de « lait » de ciment, puis recouvertes de géogrilles qui imperméabiliseront le sol. Les prairies créées de manière artificielle augmenteraient la température l’été, alors que la forêt offre aujourd’hui une source de fraîcheur incomparable.
Dans la dernière version du projet, dévoilée en 2018, les « aménagements » proposés et les « usages » ludiques sont d’une grande banalité, sans rapport avec la nature forestière du site. Le patrimoine minier a été curieusement oublié, alors que des maisons de carriers, un tunnel maçonné et des fours à plâtre témoignent encore de l’histoire du lieu. Les agrès « sportifs » pourraient pourtant trouver place dans le parc limitrophe de la Sapinière, mais celui-là a le tort d’être géré par le département, et non par la région. La nature est ici prisonnière des frontières administratives et d’une vision utilitariste à court terme. En guise de justification écologique, le projet prétend lutter contre une plante invasive, la Renouée du Japon, qui ne constitue pourtant pas une menace d’envergure. La nécessité de combler les galeries n’a jamais fait l’objet d’enquête contradictoire. Les impacts sur le sol ou sur le cycle de l’eau, tout comme les coûts écologiques et économiques globaux de ce projet n’ont pas été sérieusement pris en compte.
Résistances au béton
En lisière de la forêt de la Corniche des forts, les forces de l’ordre patrouillent. Ils interdisent l’accès à ce site remarquable aux opposants au projet d’aménagement porté par la région Île-de-France. Le motif : ils veulent que les ouvriers puissent reprendre le déboisement et le terrassement commencés le 8 octobre. « Sept personnes sont convoquées au tribunal administratif de Montreuil le 7 novembre pour avoir été contrôlées dans l’enceinte de la forêt le 22 octobre. On ne sait pas pourquoi seulement ceux-là. L’un d’eux est un photoreporter, avec carte de presse », raconte Sylvain Piron, militant au sein du collectif les Amis de la Corniche des forts.
Patrick Karam, vice-président du conseil régional chargé de la jeunesse, des sports, des loisirs, de la citoyenneté et de la vie associative supervise également le dossier d’aménagement de la forêt. Il affirme que la mobilisation des opposants a porté préjudice à l’avancée des travaux, qui se sont arrêtés durant 2 semaines. « Les ouvriers étaient terrorisés, on les a mis en sécurité parce qu’on ne peut pas travailler dans ces conditions », dit-il, justifiant la présence policière. Sur place, les militants discutent pourtant avec les forces de l’ordre. « Notre mobilisation pour préserver la forêt est non violente et joyeuse, afin d’empêcher tout débordement qui mettrait les citoyens en danger. Nous discutons avec les ouvriers, avec les policiers », explique Sylvain Piron.
« Ça nous intéresse d’ouvrir la forêt aux citoyens, mais pas d’en faire une base de loisirs »
L’intérêt de la région Île-de-France pour l’aménagement des 28 hectares escarpés de cette forêt remarquable a commencé en 1994, quand le site a été choisi pour accueillir la base de loisirs que les élus imaginaient pour cette partie de la Seine-Saint-Denis. L’aménagement souhaité a connu plusieurs avatars. Celui de 2016, baptisé Ilex 2, est le dernier en date. Il est porté par la Région présidée par Valérie Pécresse (LR). D’après un courrier à ses administrés, la maire de Romainville, Corinne Valls, présente ainsi Ilex 2 : « 4,5 hectares vont former une zone consacrée aux loisirs et à l’observation de la nature. 2,4 hectares de zones d’écopâturage, fermés au public, mais entourés d’un chemin d’observation pour permettre le développement de nouvelles espèces végétales et limiter l’expansion d’espèces invasives comme la renouée du Japon. Cette zone redeviendra à terme boisée de façon naturelle. 1,1 hectare pour une zone d’activités ludiques créée dans un second temps. Les 20 hectares restants seront complètement fermés au public et sanctuarisés, permettant ainsi au bois, aujourd’hui à un stade de développement jeune, de devenir mature. De plus après les travaux, un hectare sera reboisé. » Pour l’élu régional Patrick Karam, l’accusation de porter atteinte à la forêt n’est pas justifiée : « Aujourd’hui, nous avons sauvé la forêt en ne reprenant pas le projet de l’ancienne majorité. C’était pour nous insupportable de détruire cette forêt-là », dit-il, en faisant référence au projet Ilex 1, qui, en 2001, prévoyait la destruction totale de la forêt et le comblement des carrières.
Une autre voie pour permettre au public de profiter du génie des lieux
Sylvain Piron n’a pas la même lecture : « La Région et Valérie Pécresse prétendent apporter un projet plus écologique que le précédent, mais c’est faux, parce qu’ils oublient le projet intermédiaire de 2012. »
Le militant ajoute : « Au bord de cette forêt, il y a un parc départemental, une grande prairie en pente avec des jeux d’enfants, qui sont maintenant désaffectés. Et ensuite, on veut détruire une forêt pour y mettre des jeux? »
D’autres pistes sont pourtant envisageables. Des étudiants en architecture ont travaillé sur cette forêt, la considérant comme un véritable trésor. Ils ont dessiné des passerelles, des liaisons sur les pourtours, des postes d’observation pour inventer une nouvelle façon d’être avec la nature, montrant une autre voie pour permettre au public de profiter du génie des lieux. De nombreuses voix s’élèvent depuis des mois, une pétition a réuni près 5.000 signatures, en vain. Le projet poursuit sa route. Est-ce le sort de ce département que de n’avoir jamais de politique environnementale et urbaine digne de ce nom?
« Pas de réponse de Valérie Pécresse »
Autour de la forêt, la mobilisation des opposants ne faiblit pas. Ils se réunissent tous les jours à 7h30 et sont déjà des centaines à s’engager, en privilégiant deux modes d’action distincts. Il y a ceux qui souhaitent bloquer le chantier immédiatement en s’attachant aux arbres ou en montant des barricades. Et ceux qui tentent d’ouvrir un dialogue par des démarches juridiques. Ces deux pratiques restent complémentaires, selon Pierre Serne, conseiller régional (Alternative écologiste et sociale) : « J’ai tendance à dire que, si on veut donner du temps aux avocats pour arracher un référé, il faut aussi ralentir le chantier au maximum par des actions de désobéissance civile, pour avoir encore des choses à sauver. »
En compagnie d’une quarantaine d’élus locaux et nationaux de différents partis, Annie Lahmer, conseillère régionale EELV, a signé l’appel au dialogue lancé par la députée Sabine Rubin le 23 octobre. Les signataires demandent à Valérie Pécresse, la présidente du conseil régional d’Île-de-France, d’établir un moratoire pour réexaminer le dossier. « Je veux bien entendre le discours des uns et des autres, mais qu’on les entende!» a expliqué Sabine Rubin, qui aimerait mettre tout le monde d’accord.
D’après Julie Lefebvre, Sylvain Piron et Sarah Hadrane pour Reporterre les 5 octobre & novembre 2018. Julie Lefebvre et Sylvain Piron appartiennent au collectif les Amis de la forêt de la Corniche des forts. Ce collectif regroupe depuis 2012 des citoyens et des représentants des associations de plusieurs villes de Seine-Saint-Denis qui avaient répondu à l’appel de Fabrice Nicolino pour sauver cette forêt et y créer un observatoire populaire de la biodiversité. Remerciements aussi à Pierre Stoeber et son blog http://www.leslilasecologie.fr.