Une réunion publique de présentation du projet EIF s’est tenue jeudi 23 novembre dans une maison des Murs-à-Pêches pleine à craquer, ce qui montre bien l’intérêt que les Montreuillois-es portent à l’avenir de ce secteur, et les interrogations que ce projet suscite. Il faut dire qu’après 18 mois d’élaboration, l’attente des riverains, des acteurs du quartier mais aussi des élu-e-s était grande. Pour autant, le dossier complet n’est pas encore disponible, le projet peut et va encore évoluer dans les 18 mois qui viennent, sans que l’on sache précisément quelles sont les marges de manœuvre et sans que l’on ait pu voir le moindre visuel émanant de la Métropole ou du lauréat.
Car le projet résulte d’un appel lancé par la Métropole du Grand Paris dans le cadre du concours « Inventons la Métropole ». 54 projets de ce type ont été élaborés sur des « territoires en mutation ». Le site EIF a été proposé par la ville de Montreuil, nous dit-on, parce que le contrat passé avec l’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France (EPFIF) en 2013 arrivait bientôt à échéance, que la nouvelle politique de la Région dont dépend l’EPFIF est de céder ses terrains, et que le risque existait que le site EIF soit vendu à un promoteur. Plusieurs candidats ont déposé des projets, mais finalement un seul est resté en lice, porté par… une filiale du promoteur Bouygues, un « ensemblier urbain » nommé Urbanera. Urbanera a eu l’intelligence de rassembler autour de lui des urbanistes, des acteurs de l’économie sociale et solidaire déjà présents sur le site (ou qu’il a su intégrer dans son projet au fil des discussions), des architectes, et s’appuie sur la force de frappe de Bouygues. Bouygues considèrerait ce projet comme un « laboratoire » où expérimenter de nouveaux modes de construction participative et durable, le modèle étant appelé à s’exporter ailleurs s’il fonctionne. Bouygues invente ici, selon les termes exacts employés par les dirigeants d’Urbanera, « le business de demain ».
Un projet alléchant…
Le site se décompose en gros en 3 parties : à l’ouest une partie publique qui appartient à la ville (où se trouve aujourd’hui notamment la maison des Murs-à-Pêches ou le cirque Aliboro ; les bâtiments de l’usine EIF (propriété de l’EPFIF) ; à l’est des parcelles qui appartiennent en partie à la ville, en partie au département, qui sont aujourd’hui, à l’exception de 2 maisons, des friches naturelles où subsistent plusieurs murs-à-pêches.
Le cahier des charges préparé par la Ville comportait plusieurs volets : expérimenter l’agriculture urbaine, valoriser le patrimoine et notamment les murs mais aussi le patrimoine immatériel, pérenniser le pôle d’économie sociale et solidaire implanté dans l’usine EIF depuis quelques années, créer un lieu d’échange et de partage. Et en option, créer de logements.
Le projet tel qu’il a été présenté répond bien au cahier des charges. En plus de la réhabilitation des locaux d’EIF et de la pérennisation sur place de beaux projets comme la Montreuilloise ou Construire solidaire, de nouveaux projets comme la Collecterie vont s’installer des ces locaux flambant neufs et sur une terre dépolluée (selon un processus expérimental et innovant). On trouvera également food lab, fab lab et autres haut-lieux de l’innovation économique et sociale, sous l’égide de Made in Montreuil resté pourtant très en retrait lors de la réunion. Et un nouveau bâtiment en lisière du secteur classé, l’Hôtel Solar, sera construit. Il s’agit d’un concept d’hôtel « écologique » qui en plus d’accueillir des touristes, organisera des formations au développement durable et comportera un lieu de restauration.Tout cela constitue un projet très alléchant, où innovation rime avec écologie et économie sociale et solidaire.
… sans l’option logements!
Le problème est que pour le rentabiliser, le choix a été fait de construire 85 logements dans le secteur est, sur des parcelles naturelles où subsistent de nombreux Murs à Pêches. Ce qui n’était qu’une option est devenu indispensable. Ces parcelles ne feraient pas partie des 32,5ha de site classé lorsque Dominique Voynet était ministre de l’environnement. On nous a donc assuré qu’il était possible de démolir les murs qui s’y trouvent, et on a même affirmé, sous le sceau d’une confidence faite à 300 personnes – que l’inspectrice des bâtiments de France se serait étonnée qu’on ne les démolisse pas. On a précisé que non seulement ces murs ne seraient pas détruits, mais qu’ils seraient restaurés puisque les logements seraient construits … entre les murs!
Et c’est là pour nous que le bât blesse. Peu importe en un sens que ce secteur soit ou non classé, qu’il figure ou non en zone « naturelle » (donc inconstructible) dans l’ancien Plan Local d’Urbanisme voté sous la précédente municipalité.
La question est de savoir s’il est cohérent de voter d’un côté à Est Ensemble un schéma de trame verte et bleue (intégré dans le nouveau PLU) qui affirme les objectifs suivants:
- préserver les noyaux primaires et secondaires de biodiversité ;
- préserver les espaces arborés qui sont des puits de fraîcheur, et vont devenir de plus en plus indispensables au fur et à mesure de la prévalence d’épisodes caniculaires ;
- ces mêmes arbres sont des puits de carbone naturels qui contribuent à lutter contre la pollution de l’air ;
- les espaces de pleine terre sont des leviers essentiels pour gérer sans trop de dommage les épisodes pluvieux extrêmes;
- la nature en ville, en offrant des espaces récréatifs tranquilles, est en enjeu de cohésion sociale évident et maintes fois constaté.
Et de l’autre, de faire disparaître avec ce projet pas moins d’1ha d’espaces arborés en pleine terre. Sans compter que la spécificité du paysage des Murs à Pêches ne tient à qu’à l’existence d’espaces non construits, d’espaces de nature, entre les murs. Construire des bâtiments à R+3 entre des Murs à Pêches – et rien ne garantit qu’ils n’aillent pas s’écrouler lors des travaux – et prétendre qu’on les préserve n’a aucun sens.
On nous affirme que l’équilibre économique du projet dépend de la construction de ces 85 logements.
A cela nous répondons plusieurs choses :
- D’abord qu’il est possible de les construire ailleurs, par exemple sur les délaissés du tram.
- Ensuite que si projet est une vitrine pour Bouygues, un groupe de sa taille peut certainement se permettre de le construire à faible rentabilité ou à perte. Il en tirera de nombreux bénéfices indirects, le « business de demain ».
- Enfin nous regrettons qu’aucun scénario alternatif sérieux n’ait été présenté. Puisqu’il faut reconstruire EIF dans sa quasi totalité (seule une partie infime de l’usine est conservée), pourquoi ne pas la démolir entièrement et construire un peu plus haut, pour créer ainsi à cet endroit un belvédère avec restaurant au dernier étage qui permettrait d’avoir une vue panoramique sur l’ensemble du secteur classé? Combien d’étages ce bâtiment devrait-il avoir? Ne peut-on pas imaginer ici un bâtiment beau et innovant, à l’instar de l’arbre blanc qui se construit à Montpellier, et qui permettrait d’éviter l’étalement urbain ? Contrairement aux rumeurs que certains propagent ici et là, nous ne préconisons pas la construction d’un gratte-ciel dans les Murs à Pêches, nous demandons simplement que des alternatives sérieuses soient envisagées et présentées, pour que personne n’ait le sentiment d’être mis devant le fait accompli.
- La parcelle qui est censée accueillir les logements occupe une place stratégique dans le secteur : à la charnière entre les 2 moitiés du secteur séparées par la A186. La suppression de l’autoroute nous permet enfin de recréer des continuités entre ces deux morceaux, d’effacer la balafre qui défigure Montreuil depuis trop longtemps. Au lieu de quoi en construisant des logements à cet endroit on va recréer visuellement de la fermeture. Les passagers du tram auraient pu apercevoir depuis le tram un élément de paysage intact des Murs à Pêches, cela n’aurait pu que les inciter à en savoir davantage et contribuer à l’attractivité du secteur.
- Nous sommes également hostiles à la construction de logements sur ce site car cela va engendrer un trafic automobile supplémentaire, trafic qui a été rétabli le long du tram donc au coeur du secteur classé.
Entendons-nous bien. Nous ne sommes pas passéistes. Nous ne voulons ni figer, ni muséifier le secteur des Murs à Pêches. Nous sommes hostiles à sa « privatisation », que ce soit par des associations au rayonnement microcosmique, par des entreprises ou par des particuliers. Nous sommes favorables à son ouverture sur l’extérieur, c’est un puissant facteur d’attractivité pour Montreuil. Mais justement, ce qui fait l’attrait de ce secteur c’est qu’il ne ressemble à aucun autre. Le projet tel qu’il a été présenté contribuera en partie à le banaliser, à le standardiser.
Dans le même ordre d’idées nous ne sommes pas hostiles à un classement en zone agricole plutôt qu’en zone naturelle d’un certain nombre de parcelles. Nous sommes favorables au relogement des populations tsiganes qui habitent là depuis des décennies. Mais nous appelons tout de même à la plus grande vigilance pour que le droit à construire soit strictement encadré. On nous annonce pas moins de 11 fermes d’agriculture urbaine. S’il s’agit de construire des serres à perte de vue comme on le voit en Hollande, ce qui se traduirait pas une forte imperméabilisation des sols, en quoi aura-t-on atteint les objectifs de la trame verte et bleue? Il faudra veiller à ce que les locaux d’activités ne se transforment pas en logements. Et que les logements tsiganes n’accueillent pas d’activités nuisantes.
Plus globalement on ne peut que déplorer que les Murs à Pêches soient grignotés progressivement par différents projets. L’ancienne municipalité a impulsé une réflexion globale sur l’avenir du secteur, qu’elle n’a pas eu le temps de mener jusqu’à son terme. Elle n’a pas eu d’autre choix que de laisser le site de remisage du tram et le collège s’implanter dans le secteur. Dans le cas du tram, c’était la condition sine qua non pour qu’il se réalise. Et il s’agissait de projets d’intérêt général. Il est temps d’avoir une vision globale pour le secteur, de créer une structure indépendante de la municipalité qui en assure la protection et le développement harmonieux, indépendamment des contraintes des municipalités et des appels à projets successifs, venus de loin, et qui à chaque fois, pour des raisons de confidentialité, priveront les acteurs locaux d’un débat sur l’avenir de ce site.
Aujourd’hui nous refusons de nous laisser enfermer dans de fausses alternatives du type « soit vous acceptez ce projet, soit vous consentez à ce que ce secteur reste une décharge à ciel ouvert et que les murs s’effondrent».
Pour que les Montreuillois-es puissent vraiment s’approprier ce projet, nous souhaitons:
- avoir communication de l’intégralité du projet avec ses perspectives (notamment celles qui ont été présentées lors de la conférence de presse).
- voir la convention avec l’EPFIF et connaître précisément les intentions de la Région sur ce secteur
- connaître précisément la marge de manœuvre actuelle.
On nous dit que le projet n’est pas figé. Est-on prêt à remettre en cause la construction de logements sur la partie est? C’est pour nous la condition de son acceptabilité.
Bassirou Barry – Muriel Casalaspro – Claire Compain – Catherine Pilon – Nabil Rabhi – Gilles Robel