Fonds de dotation Montreuil Solidaire : rien ne justifie une telle opacité – Intervention de Gilles Robel – CM 06/02/2019
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Nous nous réjouissons que notre demande de pouvoir débattre en conseil municipal du fonds de dotation ait été acceptée tant cette structure soulève d’interrogations. Et il nous semble nécessaire d’entrée de jeu de dissocier nos critiques sur le fonds de dotation d’une critique sur les actions financées.

Rappelons-le, les fonds de dotation ont été créés dans le cadre de la Loi de Modernisation de l’Economie sous le gouvernement Fillon en 2008. Dispositifs d’inspiration libérale et américaine, ce sont des structures juridiques de droit privé d’une grande souplesse qui permettent d’inciter les entreprises à participer au financement d’actions d’intérêt général. Ils connaissent un grand succès en France puisque leur nombre est passé de 852 en 2011 à 2494 en 2017. Il faut dire qu’elles permettent aux donateurs de bénéficier d’avantages fiscaux non négligeables, ce qui a conduit le journal La Tribune à les qualifier de « paradis fiscal » pour la philanthropie.

Du côté des créateurs de fonds, l’attrait du mécénat privé pour financer des actions d’intérêt général, dans un contexte de raréfaction des financements publics est compréhensible, mais l’on peut estimer qu’en détournant les entreprises de l’impôt, ces fonds contribuent justement à instituer la raréfaction des financements publics. On pourrait se demander s’il vaut mieux combattre ce système ou le cautionner en en tirant parti.  Si l’on part du principe qu’on va chercher à en tirer parti, le financement d’actions publiques par le privé n’est acceptable qu’à condition que cela se fasse dans des conditions de transparence totale, et selon des règles strictes. Et c’est là que le bât blesse.

En effet, contrairement à d’autres collectivités comme Rennes ou Bayonne qui ont créé des fonds de dotation pour financer des actions très ciblées (la préservation du patrimoine local, l’acquisition d’ œuvres d’art), le choix a été fait à Montreuil de fixer un objet particulièrement large et donc très flou : faire reculer les inégalités sociales et économiques, développer des actions culturelles et sportives, encourager la solidarité, favoriser la concertation …  (article 2). Bref, ces fonds privés doivent pouvoir abonder une part significative de l’activité municipale. (2’02)

Contrairement à la plupart des collectivités locales, et notamment à Paris, le fonds montreuillois est présidé par le Maire lui-même et administré par 4 personnalités nommées par lui. A Paris, le fonds est présidé par une personnalité qualifiée, et le conseil d’administration est composé pour un tiers de représentants de tous bords du conseil municipal. A Montreuil, les statuts du fonds prévoyaient bien que siège un représentant du Conseil, mais notre collègue Choukri Yonis n’a pas été remplacée depuis sa démission en 2017, et le fonds ne respecte donc pas ses propres statuts. La présidence du fonds par le Maire lui-même est problématique car il utilise tous ses attributs de maire pour solliciter des dons auprès des partenaires de la ville, mais ensuite le choix des actions financées échappe à tout contrôle de notre assemblée, en dehors d’une simple présentation d’un rapport d’activité, qui s’est aujourd’hui heureusement étoffé par rapport très lacunaire de 2017. Notons malgré tout que certaines actions comme le financement de l’éclairage de l’Eglise Saint Pierre Saint Paul, pourtant présenté dans cette assemblée en décembre 2018, sont omises du rapport.

Ce qui nous mène à nos objections et interrogations.

– L’ apport initial de 15 000 euros provenait d’une association fantôme dénommée Territoires Solidaires implantée dans le Val d’Oise. Pourquoi avoir fait appel à cette association et d’où venaient les fonds? Et pourquoi s’est-elle maintenant retirée (p. 173)?

  • Pourquoi la représentante du conseil municipal n’a-t-elle pas été remplacée? Nous n’acceptons pas que l’allocation des fonds se fasse avec un CA incomplet et que les statuts du fonds validés par notre assemblée ne soient pas respectés (p. 173)?
  • Pourquoi le rapport d’activité nous est-il communiqué si tardivement? La loi exige qu’il soit communiqué à la Préfecture dans les 6 mois qui suivent la clôture de l’exercice. Pourquoi n’a-t-il pas été porté à notre connaissance au même moment, soit en juin 2018? Nous y voyons une marque d’irrespect pour les élus que nous sommes et les Montreuillois que nous représentons.
  • Quel est le montant des donations des différents donateurs? Les dons peuvent-ils être fléchés sur des projets précis par les donateurs? Les dons de tout donateur sont-ils admis (Matra, Areva…)?
  • A quoi correspondent les quelque 237 000 euros de dépenses pour « autres services extérieurs » mentionnés dans le bilan comptable?
  • Alors que les subventions accordées aux associations montreuilloises le sont selon des procédures strictes et transparentes, quels sont les critères qui président à l’octroi des financements de Montreuil Solidaire?  Nous n’acceptons pas qu’un circuit de financement parallèle au circuit municipal soit mis en place, qui compromet l’équité d’accès aux financements pour les porteurs de projet montreuillois.
  • Parmi les actions financées, on trouve beaucoup d’actions ponctuelles comme l’achat de dizaines de milliers de places de Grand Roue ou de parc de loisirs, parfois quelques semaines avant des échéances électorales. Aurons-nous des informations sur le succès de ces initiatives? Ne serait-il pas préférable d’investir ces sommes parfois considérables  – sans parler des frais induits pour la ville – dans des actions pérennes? Pourquoi avoir préféré les places de cirque à une ludothèque ambulante, projet de nos antennes de secteurs qui peine à trouver un financement?
  • Alors que nous sommes en train d’élaborer le budget primitif 2019, comment les élus peuvent-ils faire leurs arbitrages s’ils ne connaissent pas la projets auquel le conseil d’administration de Montreuil Solidaire a déjà prévu d’apporter un financement?
  • On trouve enfin parmi les donateurs la plupart des grands promoteurs immobiliers mais aussi des attributaires de marchés publics comme Véolia, épinglée à de nombreuses reprises pour ses marges énormes. Ces entreprises ne sont pas des philanthropes. Outre les déductions fiscales dont elles bénéficient, il va de soi que leurs dons ne sont pas entièrement désintéressés. Comment éviter que la ville de Montreuil ne devienne leur obligée à partir du moment où elle bénéficie de leurs largesses – largesses, qui rappelons-le, ne sont souvent que le résultat des marges énormes qu’elles font sur le dos des consommateurs et usagers? Pouvons-sérieusement dénoncer les profits que réalise Véolia en gérant notre eau comme une marchandise, et accepter par ailleurs l’argent de cette multinationale pour financer le meeting d’athlétisme ?  

On nous rétorquera que tout cela est parfaitement légal. C’est juste, mais ce qui est légal n’est pas toujours légitime. Si la loi de 2008 est mal faite parce qu’elle organise la raréfaction des financements publics et encourage l’opacité, ne conviendrait-il pas d’œuvrer pour la changer? La façon dont le fonds est géré est très éloignée de l’esprit et de la lettre de la charte Anticor que nous avons tous signée en 2014.

Pour conclure en citant Ghandi, pour le groupe Alternative Écologiste à Montreuil, la fin ne justifie pas les moyens, la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine. Aucune action, aussi louable soit-elle, ne devrait être financée de façon aussi contestable.