Le 1er octobre s’est tenue dans la Maison des Murs-à-Pêches une nouvelle réunion publique consacrée au projet EIF, et plus particulièrement à la restitution d’une étude récente sur la pollution. Devant une salle remplie, mais moins bondée que lors de la réunion d’octobre 2017, l’élu en charge du projet Jean-Charles Nègre, une représentante de l’Etablissement Public Foncier d’ile-de-France qui est propriétaire de l’usine EIF depuis une convention passée avec la ville en 2013, une représentante du bureau d’étude Burgeap qui a étudié la pollution, une représentante de Bouygues-Urbanera qui mène le projet. Plusieurs élus de la majorité étaient présents, dont Ibrahim Dufriche-Soilihi, le premier adjoint en charge de l’écologie, Mireille Alphonse l’adjointe au personnel qui cumule aussi les responsabilité de vice-présidente en charge de l’écologie urbaine à Est Ensemble, ou Riva Gherchanoc l’adjointe en charge de la santé, mais qui venait surtout pour s’informer, comme d’autres élus de la majorité présents, tant l’opacité règne autour de ce dossier. Des élus d’une même majorité contraints de se rendre dans des réunions publiques pour obtenir des informations sur des projets censés être portés par la majorité à laquelle ils appartiennent, c’est un comble mais c’est comme ça à Montreuil!
Projet EIF : Encore un effort pour préserver les Murs à Pêches!
Et au final la désagréable impression de se faire mener en bateau, tant les informations données sont incomplètes, approximatives, voire erronées.
Après avoir récapitulé le projet et souligné qu’il travaillait de manière étroite avec Ibrahim Duffriche et Mireille Alphonse (quand on considère le flou des réponses du premier, et le silence prudent de la seconde, on peut s’interroger), JC Nègre a donné la parole à l’EPFIF puis au bureau d’étude.
La représentante de l’EPFIF a expliqué savoir depuis 2013 que le site de l’usine, une ancienne peausserie, était pollué, et faisait l’objet d’une surveillance en lien avec la Préfecture et l’Agence Régionale de Santé. Certains bâtiments sont inaccessibles car source de pollutions. En ce qui concerne les murs à pêches, il y a sur les parcelles concernées par le projet pas moins de 640m de linéaire, mais 22% de murs ont disparu depuis le relevé de 2012. Et 78% des murs n’atteignent pas la hauteur attendue pour des murs-à-pêches. Ils seront remis en état, a-t-elle affirmé. Quand on voit ce qui s’est passé sur les parcelles est (celles qui accueilleront les logements) et autour du ru Gobetu, on peut confirmer aisément que nombre de murs sont tombés depuis 2012, et ces disparitions ne sont pas toutes liées qu’au temps qui passe.
« La surprise, c’est la gravité de la pollution »
Une présentation rapide à base de diapositives très petites et quasiment illisibles par l’auditoire a été faite de l’état de la pollution (voir photos). Nous avons demandé que ces diapositives et les résultats de l’étude nous soient communiqués, mais avons malheureusement obtenu une réponse négative. Globalement, ainsi que le souligne l’article du Parisien paru le jour même, si l’on savait que le site était pollué, les études ont fait apparaître une pollution plus grave que ce qui était attendu. Les propos rassurants de l’EPFIF n’y changent rien, et c’est JC Nègre qui le souligne d’ailleurs dans l’interview du Parisien : « Nous avons eu beaucoup de confirmations mais la surprise, c’est la gravité de la pollution, réagit Jean-Charles Nègre, conseiller municipal (PCF) délégué aux Murs à Pêches. C’est une pollution lourde : sur les quantités, sur la profondeur, sur le fait que la nappe phréatique et l’eau sont gravement atteintes. »
La représentante du bureau d’étude a ainsi expliqué que jusqu’en 1940 des solvants mono-aromatiques ou B Tex étaient utilisés, puis des solvants chlorés jusqu’en 1970, comme le benzène et le trichloréthylène. Ces polluants sont dangereux pour la santé et potentiellement cancérigènes. Ils peuvent être inhalés. Entre 2013 et 2018 72 sondages ont été réalisés, 18 piezomètres posés et 8 piezairs pour échantillonner les gaz. Les études montrent que 11 tonnes de Btex et 15 tonnes de solvants chlorés sont enfermés dans 7500m3 de terre et que la nappe phréatique est fortement impactée. La nappe s’écoule vers le nord-est, cette pollution n’est donc pas statique et les polluants migrent. Le toit de la nappe est très haut à cet endroit, il n’est qu’à 2 à 3 mètres de la surface du sol, mais lorsqu’un habitant a demandé quelle est l’étendue précise de la nappe, les intervenants se sont révélés incapables de répondre. Tout ce qu’on sait c’est que les niveaux constatés équivalent à 10 000 fois la dose autorisée pour l’eau potable!
Une fois ce diagnostic posé, ils ont défini un plan de gestion. 3 options qui existent, qui avaient déjà été évoquées en octobre 2017 dans une réunion ad hoc en mairie. Mais comme la pollution est plus grave que ce qui était prévu, on aurait pu s’attendre à ce que les solutions retenues, et par conséquent, les coûts de la dépollution évoluent également, donc l’équilibre économique du projet. A cette question la représentante de Urbanera a refusé de répondre se contentant d’affirmer que c’est le projet qui financerait la dépollution.
En octobre 2017, on nous avait présenté 3 scénarios. L’excavation et le traitement de la terre hors site après un transfert de la terre en camion. Coût annoncé en mairie : 3 millions d’euros. Mais ce scénario a un mauvais bilan carbone et un fort impact environnemental et il serait impossible de maintenir des activités sur le site. Aujourd’hui on nous dit que pas moins de 880 trajets de camion seraient nécessaires.
Le second scénario est un traitement in situ. C’était un scénario mixte qui repose sur un peu d’excavation et une dépollution naturelle avec des bactéries et des végétaux. Une solution censée prendre 18 à 24 mois contre 6 à 8 mois pour le scénario 1.
Le troisième scénario, également in situ, consistait à ne faire que de la bioréduction, pendant 12 à 18 mois, pour un coût de 1,5M€.
Le scénario retenu aujourd’hui est clairement le scénario mixte : on excaverait 600m3 de terres (soit 90 camions). Mais on utiliserait aussi des techniques de venting (aération) et d’injection de produits dépolluants dans la nappe. Cela n’avait pas été envisagé en octobre 2017. Comment croire que le coût sera le même?
Le reste de la réunion a été consacrée à l’annonce par JC Nègre du lancement imminent (avant fin octobre de l’appel à projet concernant le développement de microfilmes d’agriculture urbaine dans le secteur. Le projet est de créer 12 à 13 fermettes que les premiers lauréats soient annoncés au printemps 2019. Une annonce assez surréaliste compte tenu des informations sur la pollution du secteur, ce qui nous mène à nos questionnements.
Des logements à cet endroit, c’est trop risqué
Comme nous avons eu l’occasion de le dire et de l’écrire, nous sommes opposés à la construction de 85 logements sur les parcelles à l’est de l’usine, et ces informations ne font que renforcer notre conviction.
D’abord rien ne garantit que la dépollution va fonctionner. L’exemple de Wipelec, une usine située à Romainville en lisière de Montreuil, où le même type de pollution par solvants a été constatée, est éclairant. Une entreprise spécialisée, Gingko, est intervenue sur le site en vue de le dépolluer avant de construire des logements pour rentabiliser l’opération. Or au terme de la dépollution, on s’aperçoit que la pollution est remontée en surface et est encore plus forte qu’auparavant. Aucune construction de logement n’est envisageable pour le moment. Quelle garantie a-t-on que la même chose ne va pas se reproduire? Il nous a été répondu qu’une fois l’opération de dépollution réalisée, il y aurait un contrôle de l’agence Régionale de Santé et qu’il faudrait que le site soit compatible avec les usages prévus (en l’occurence des logements). Sachant que l’opération prendra 18 mois, et que les demandes de permis de construire seront déposées au premier semestre 2019 comme l’a dit la représentante d’Urbanera, cela veut dire que des permis de construire vont être instruits et peut-être accordés alors qu’on ne connaîtra pas précisément le degré de dépollution! Et pourtant JC Nègre a affirmé le contraire. Notons aussi que le bureau d’étude a reconnu avoir fait moins de reconnaissance sur ces parcelles que sur les zones centrales. L’étendue de leur pollution n’est donc pas bien connue, quelques mois avant le dépôt des permis de construire!
A cette objection Ibrahim Dufriche a répondu de façon assez incompréhensible que la ville avait demandé à Urbanera d’étudier la possibilité que les logements ne soient pas tous construits à cet endroit, ou sur l’ensemble de la parcelle. Ce qui signifierait que d’autres terrains sont disponibles, et si oui, lesquels, ou qu’on monterait plus haut? A quelle hauteur? Quand les résultats de cette étude – si elle existe bien – seront-ils connus?
Nous estimons qu’il serait nettement plus raisonnable, dans l’intérêt de l’opération EIF, de renoncer tout de suite à construire ces logements à cet endroit – à supposer qu’il faille en construire – tant les incertitudes sont grandes. Sans parler de toutes les objections exposées précédemment.
Quid du principe pollueur-payeur?
L’EPFIF est devenu propriétaire de l’usine EIF depuis 2013. L’usine avait avant un propriétaire privé. Pascal Mage de l’association Murs à Pêches a demandé pourquoi la collectivité devrait supporter les coût de la dépollution (y compris par la construction de logements). La réponse des présents n’a pas été convaincante : les recherches en responsabilité ont été abandonnées car elles sont trop longues. Mais il a été intéressant d’apprendre que l’EPFIF est un organisme étatique dans lequel la Région ne fait pas ce qu’elle veut. Dans une précédente réunion l’un des élus en charge du projet avait expliqué que Valérie Pecresse voulait vendre le bâtiment au plus offrant et que c’est pour cela que le projet avait été présenté dans le cadre du concours Inventons la Métropole.
Entre Wipelec, la SNEM, EIF et les innombrables anciens sites industriels pollués, une ville comme Montreuil ne peut pas subir la double peine : des activités nuisantes pendant que les entreprises tournent, de la pollution une fois qu’elles ont fermer. Il faut réclamer la création d’un fonds national de solidarité, et demander une meilleur prise en compte de cette problématique au niveau européen.
Une pollution qui remonte?
La pollution se situe dans la nappe phréatique et sous forme gazeuse, sous une couche de 2 à 3 mètres de terre nous a-t-on expliqué. N’est-il pas irresponsable d’avoir fait creuser de profondes tranchées d’au moins un mètre de profondeur et de plusieurs mètres de large sur les parcelles est, ce qui peut contribuer à libérer des gaz toxiques dans l’atmosphère? Nous n’avons pas obtenu de réponse à cette question, le bureau d’étude se contentant de dire que ce n’est pas eux qui ont creusé les tranchées. JC Nègre nous a assuré qu’un aucun mur n’avait été endommagé pendant l’opération destinée à empêcher la constitution d’une ZAD. Quand on connaît la fragilité de ces murs, soulignée par de nombreux intervenants, il est évident que l’activité de la pelleteuse à provoqué des écroulements qui sont faciles à constater.
Une intervenante a également souligné la présence d’une pollution visible au niveau du ru Gobétu. Une mare est en train de se constituer dont l’eau est loin d’être limpide, et qui pourrait également menacer les murs à proximité.
Les demandes du collectif ESS
Lors d’un communiqué récent, le collectif des entreprises de l’économie sociale et solidaire avait déjà exprimé le souhait que des alternatives à la collection des 83 logements sur la parcelle est soient envisagées. La prise de parole de Fabien Taconnet au nom du collectif a rendu les tensions avec Bouygues-Urbanera palpables. Les prix annoncés initialement semblent évoluer, aucun coût global n’est annoncé, et la relation partenariale qui avait été prévue à l’origine n’existe pas. Ils ont déploré également l’absence de dialogue avec le député Alexis Corbière qui s’est pourtant préoccupé de l’avenir du site.
Des calendriers irréalistes
Une telle incertitude entoure encore le processus de dépollution qu’il semble surréaliste de lancer maintenant un appel à projet en faveur de l’agriculture urbaine. JC Nègre a d’ailleurs reconnu qu’ils n’étaient pas en mesure de dire s’il fallait privilégier une agriculture hors-sol où de pleine terre, et qu’il faudrait que les candidats soient accompagnés par un ingénieur-agronome s’ils souhaitent que leur projet soit retenu. Voilà qui change qui aura un impact profond sur la nature et la dynamique des projets. Pourquoi agir dans une telle précipitation? La calendrier électoral y serait-il pour quelque chose?
Même remarque sur les logements.
Souriez, vous êtes enregistré!
Afin de discréditer les contradicteurs, JC Nègre est allé jusqu’à répéter publiquement un mensonge qui nous a été déjà rapporté : Gilles Robel aurait demandé lors de la réunion ad hoc en mairie qu’une tour de 17 étages soit construite en lieu et place de l’usine, pour éviter d’artificialiser les parcelles est. Quand nous avons nié avoir jamais dit cela, JC Nègre a affirmé disposer d’enregistrements. Ce qui signifie que les élus, lors d’une réunion non publique en mairie, ont été enregistrés à leur insu! Lorsque nous avons demandé une copie de ces enregistrements, JC Nègre s’est ravisé en disant qu’ils avaient été effacés. Donc aucune preuve pour étayer des informations mensongères. Mais diffamez, il en restera toujours quelque chose.
Tout va très bien, madame la Marquise!
Quelques jours après cette réunion, on apprenait que la préfecture, par un arrêté de la DRIEE en date du 5 octobre, imposait la réalisation d’une étude d’impact environnementale tant les informations données sur la pollution, mais aussi les assurances faites sur la préservation du patrimoine sont insuffisantes. Des tests vont devoir être réalisés avant de mettre en oeuvre les techniques de dépollution, ce qui aura forcément un impact sur le calendrier des opérations. La Mairie s’est empressée de se féliciter de cette décision, qui implique pourtant que le dossier est bancal.
L’Etat ordonne une étude d’impact environnemental du projet EIF dans les murs à pêches
Quelques jours plus tard on apprenait la signature d’un protocole d’accord pour le financement du tram T1. Le tram T1 est enfin sur les rails, mais il n’irait plus jusqu’à Fontenay-sous-Bois, du moins pour la première phase du projet. Il s’arrêterait au niveau de la rue de Rosny, ce qui signifie qu’il ne passerait plus à proximité des logements de EIF. Comment croire que cela n’aura pas d’impact sur la commercialisation des logements, et partant sur l’équilibre économique du projet? Si la construction devrait se faire malgré tout, cela veut dire que les futurs résidents seront contraints d’utiliser leur voiture. Pas moins de 69 places de parkings (privé ou public, on ne le sait pas) sont prévues dans le projet. Comme la circulation automobile a été autorisée par la nouvelle municipalité le long des voies du tram, il y aura donc une circulation plus dense en plein coeur du secteur classé des Murs-à-Pêches, et l’ancienne autoroute gardera pour de nombreuses années encore son caractère autoroutier.
Alors que des informations alarmantes sur le dérèglement climatique nous parviennent tous les jours, ce projet qui combine une artificialisation des sols, un accroissement de la circulation automobile dans un secteur classé et un risque d’accroissement de la pollution dans le secteur va vraiment à l’encontre des engagements écologistes.